Visite Médicale d'Amy

Salle d'attente

À ma demande, elle se leva immédiatement et me suivit sans demander son reste. *C'est qu'ils sont sacrément dociles par ici... On aurait dit des chiens*
À notre arrivée dans la salle d'analyses, elle fronça un peu le nez et les sourcils ; c'était une réaction courante, l'odeur était plutôt envahissante lorsqu'on n'était pas habitué. Pour ma part, j'étais plutôt dérangé par l'éclairage : j'avais été habitué à des cabinets avec fenêtres, rideaux et fleurs, certains même tapissés de papier peint pittoresque chez les pédiatres.
Ici, c'étaient néons, murs gris ou blancs, parfois une lampe halogène, pratiquement aucune matière organique. Je ne savais pas que j'étais si attaché à la Terre.
J'allumai toutes les lumières, et vérifiai si tout était tel que je l'avais laissé, ce qui était le cas.
Je m'occupai tout de suite de rebrancher les machineries, pour ne pas avoir à m'en préoccuper plus tard. La jeune fille (du moins, je lui donnais entre 16 et 17 ans) s'assis sur la table d'examen. Elle semblait connaître la pièce bien mieux que moi.
Quand j'avais enfin fini de tout installer, je m'avançai et dis:

"Bien, on va commencer par vous peser, mais d'abord, pourriez-vous me donner votre nom, votre âge, votre numéro d'identification et le nom de votre dortoir s'il-vous plaît?"

Ça faisait beaucoup d'un coup, comme ça, mais je n'avais absolument aucune idée de qui elle était. Je m'apprêtai à noter toutes ses réponses. Il fallait bien commencer quelque part, non?

Salle d'attente
Entrant dans la pièce, je me suis automatiquement dirigée vers la table d'examen, question d'habitude: je passe ces fichus testes depuis que je suis ici, ce qui doit certainement faire vingt ans...
L'odeur du désinfectant ma fait froncer le nez et les sourcils, certainement la seule chose auquel je ne pourrais jamais m'habituer. Ca me brûle les narines, même si je suis maintenant assez grande pour ne plus m'en plaindre...
La salle n'a pas changé depuis le départ du vieux Devries, toujours cette même froideur, ce même "vide" de charme et de douceur... Pourquoi ces fichus laboratoires doivent être aussi stérile? Est-ce qu'un peu de couleur ferait du tort à Dame Hygiène?
Mais le jeune médecin m'interpelle, me demandant de décliner mon identité.
"Amy, 20 ans, numéro d'identification F-002, je suis dans le dortoir Hippocampe" dis-je en soupirant.
Le genre de formule qu'on ne sortait que peu souvent, extrêmement lourde mais on avait intérêt à les connaître par coeur, si l'on ne veut pas passer pour une idiote...
Je me demande si les gens de la surface ont aussi à sortir des formules pareilles... Oh, sûrement, ou sinon comment se présenteraient-ils à des inconnus?

"Amy, 20 ans, numéro d'identification F-002, je suis dans le dortoir Hippocampe" avait-elle dit d'une traite, d'un ton las et fatigué. Comme si j'aurais pu deviner. *C'est pas écrit sur les murs, tout de même, et c'est pas tout à fait habituel ce genre de formule* D'ailleurs, je me demandais à quoi servaient leurs "F-008; M-102, ...". Un nom serait bien suffisant, qu'au moins ils offrent un nom de famille à tous ces gosses. Ici, on dirait qu'ils avaient eu envie de leur coller un numéro, histoire de tout dépersonnaliser. Enfin, je ne m'en plaindrai pas. C'était plus facile de mémoriser ce genre de suites de chiffres, plutôt que de devoir retenir quelles têtes j'avais déjà vues ou pas. Et tout serait mieux classé, ce qui m'arrangeait bien.

J'avais rapidement pris note des informations qu'elle m'avait délivrées. J'avais l'impression que tout serait plus rapide ce coup-ci. Espérons-le, je n'avais pas envie d'avoir à éluder une floppée de questions concernant leur fameuse "Surface". Dieu merci, cette fille avait l'air de s'ennuyer autant que moi.

Je lui demandai de monter sur la balance, essuyait tout un tas de pensées ridicules, et relisait tranquillement la feuille de notes tandis qu'elle se déshabillait probablement.
C'est là que je réalisai qu'elle avait vingt ans. Exactement mon âge. Je jetai un coup d'oeil de par-dessus ma feuille ; elle ne les faisait pas du tout. Elle ne devait vraiment pas beaucoup manger...

Je repris un peu d'intérêt pour la visite, sur le coup. *Ça change un peu de la routine...* On verrait bien ce que je pourrais trouver.

Je crois voir un air stupéfait sur le visage du jeune médecin, pourtant il me semble lui avoir dit tout ce que je demande... non?
Enfin c'est bon, il semble se reprendre, et m'envoie me déshabiller pour la pesée. J'ai enlevé mon haut en vitesse puis le vieux pantalon que je portais, ainsi que mes chaussures.
Quand j'avais douze ans, je faisais des crises pas possible à chaque fois que je devais enlever une couche tant j'étais complexée. Mais maintenant j'ai grandi, je sais que plus vite j'obtempèrerai, plus vite on me fichera la paix...
J'étais maintenant en sous-vêtement, un état qui me dérange je dois dire, j'ai l'impression qu'on voit tous mes défauts dans les moindres détails... Je monte vite sur la balance, comme ça c'est fait.
Pourvu qu'il se dépêche, j'ai horreur de me sentir nue comme un ver...

Elle monta sur la balance en sous-vêtements en se hâtant. Elle semblait embarassée et pressée d'en finir, je pouvais le deviner en voyant les teintes rosées que prenaient ses joues. C'était plutôt bizarre, vu que dans ces "bulles", ils devaient être habitués aux visites fréquentes. Peut-être parce que j'étais un nouveau... Enfin bon, je jugeais inutile de lui préciser qu'elle aurait pu garder son t-shirt.
"Quarante-neuf kilos cinq..." Je ne pus pas m'empêcher de froncer le visage.
Je voulus la mesurer mais elle se rhabilla d'emblée. J'attendis un instant, puis plaçai la réglette contre le haut de son crâne. "Pour un mètre soixante-huit"
Je n'eus même pas besoin de sortir ma calculette pour affirmer que son poids était insuffisant. J'en pris note et le dévisageai d'un air critique et préoccupé.
"Tu manges pas souvent, toi, hein?" dis-je sur un ton que je voulais être celui de la conversation.
"Faudra que tu m'expliques quelles sont tes habitudes alimentaires." Elle avait l'air d'avoir entendu ces mots des centaines de fois. De mon côté, je m'en voulais d'avoir abandonné la forme polie du "vous", mais trop tard.
Avant de la laisser répondre, je continuais : "Il faudra te faire manger correctement. Viens t'asseoir sur la table d'examen, je vais prendre ta tension artérielle, et te faire une prise de sang". Elle m'avait l'air un peu pâlotte, mais, au final, ça pouvait simplement être le manque de sommeil. Je pensais déjà à une carence en fer.
J'avais l'impression de m'adresser à une gamine, à force de tutoyement. C'était trop tard pour repasser à la deuxième personne du pluriel sans paraître complètement crétin, je continuerais donc sur ma lancée. J'espérais seulement qu'elle répondrait à mes questions ; elle avait l'air plutôt taciturne, et cette abondance d'informations pourrait l'avoir découragée. *Je ne sais plus à quoi m'attendre avec ces gamins...*
Je me rendais compte que j'étais déstabilisé par toute cette nouveauté, cet inédit. Tout le monde ici avait une vision si différente de relations sociales équilibrées, j'étais désarçonné. Je fis de mon mieux pour garder un visage stoïque tandis que j'allais chercher mon stétoscope, et ce petit appareil dont j'oubliais toujours le nom, et qui servait, entre autres, à mesurer la tension artérielle.

Je lui jette un regard noir, qu'est ce qu'il peut m'énerver ce médecin! Oui je suis maigre, et alors? Je me suis améliorée, je n'en avais que 48 et demi la dernière fois! Ca se voit qu'il n'a pas vu le rapport précédent...
Je secoue la tête, il ne peut pas savoir, bien sur... Il faut que j'arrête de m'énerver pour un rien.
N'empêche qu'il m'énerve avec sa petite morale... Il ne veut pas non plus prendre le poste du psy, tant qu'il y est?
Mais bon, imbécile ou pas, c'est un responsable, et je suis bien obligée de lui répondre autre chose que "mêle-toi de tes affaires".
"Je n'ai pas très faim au repas, c'est tout." lui répondis-je. "Et puis c'est en bonne voie, j'ai repris un kilo depuis la dernière visite!"
J'espère que ça le satisfera... Que dis-je? Il a intérêt à être content, parce que d'accord ou pas ce sera le même tarif!
Dommage, il me paraissait bien sympathique au premier coup d'oeil, ce type... Enfin ce n'est pas à lui de me faire la morale! Pour qui il se prend? Ah oui, mon médecin, suis-je bête... Eh bien qu'il se contente de me soigner, il a pas à se mêler de ma vie! D'ailleurs, pourquoi il me tutoie?

"Je n'ai pas très faim au repas, c'est tout." Me répondit-elle tandis que je lui passais l'appareil sur le poignet. *Mouais, ça se voit que t'as pas faim...Mais c'est quoi encore le nom de ce truc?*
J'oubliais rarement le nom des choses, mais celui-là ne voulait décidément pas rentrer.
"Et puis c'est en bonne voie, j'ai repris un kilo depuis la dernière visite!"
Elle répondait avec fermeté. Je ne pouvais pas m'empêcher de sourire à cette réplique, cette fille était drôle, et terriblement différente de la rousse que j'avais reçue dans mon cabinet un peu plus tôt.
"Ça doit faire un sacré bout de temps, la visite, et puis, même si ce n'étaient que quelques mois, t'es pas au bout de tes peines. Et puis, ce kilo-là, c'est peut-être parce que tu as bu beaucoup d'eau, ou que sais-je d'autre, qu'il est venu se rajouter."
Je semblais l'énerver. Moi, je m'amusais.
La "chose" bippa, ce qui signifiait qu'elle avait fini de mesurer la pression. "Tension normale..." lui dis-je sans la regarder, lui enlevant cette espèce de montre perfectionnée du bras.
"Ah, aussi, tu dois prendre environ cinq kilos—mais plus ne seraient vraiment pas une catastrophe— et tu atteindras un poids décidément plus équilibré."
J'adorais jouer avec les nerfs des gens, bien qu'il s'agissait d'une forme assez idiote de divertissement, je l'avoue. Je savais que je touchait une corde sensible, aussi décidai-je de ne pas en abuser. C'était peut-être aussi le tutoiement qui lui hérissait le poil. De toute façon, je n'allais pas changer subitement, et puis, cette manière de parler me semblait plus naturelle, en considérant qu'elle avait mon âge.
"Tu veux bien soulever ton t-shirt juste une seconde? Je vais écouter ta respiration"
Je me passai le stétoscope sur les oreilles et lui demandai de respirer profondément.
Tandis que je procédais à l'examen, je la questionnai : "De laquelle des six bases viens-tu?"
J'étais curieux se savoir si leurs modes de régulation des tempéraments seraient valable. Et puis, j'avais envie d'engager la conversation, car je n'allais pas en avoir l'occasion bien souvent par ici.

Tout ce baratin, je l'avais déjà entendu vingt fois, qu'est ce qu'il sait de mes problèmes, lui? Ca se voit qu'il n'a jamais eu à se forcer d'avaler de la nourriture qui ne lui donne pas du tout envie, juste pour le doux sourire d'imbéciles armés de balances...
A croire qu'il prenait plaisir à me voir réagir!
Il finit de prendre ma tension artérielle, normale bien sur, après tout je n'ai jamais eu de problèmes de ce côté-là.
Puis il me demande d'enlever à nouveau mon t-shirt... Quelle calamité, il n’aurait pas pu le faire pendant la pesée? Enfin bon, je fais de mon mieux pour ne pas montrer mon énervement, ou bientôt il va me prendre pour une râleuse de première...
"De laquelle des six bases viens-tu?" me demande-t-il.
Pourquoi? Pourquoi il faut qu'il me pose cette question? Et qu'est ce que je suis censée répondre surtout? Suis-je obligée de lui expliquer toute l'histoire?
On m'a toujours dit de rester plus au moins discrète sur les événements qui ont fait que je suis restée ici... Et quelque part je les comprends, ce serait une bien mauvaise publicité pour eux!
"Je... je n'ai jamais quitté celle-ci." dis-je
J'opte pour la manière simple, s'il pose des questions je lui répondrai, et s'il s'en contente -chose qui m'étonnerait fortement chez ce grand curieux- je me tairais.

Sa respiration était normale, elle aussi. Elle semblait agacée de devoir se déshabiller de nouveau. *Qu'est-ce que j'y peux? C'est pas ton pull que je veux écouter respirer*
Elle me répondit qu'elle n'avait jamais quitté cet endroit.
"Hein?"
Pourtant, où que ce soit, il était toujours spécifié que ce programme s'intéressait surtout aux comportements humains. Le système des bases devait être essentiel, alors, non?
Je déposai mon stétoscope sur une armoire et pris une palette et bois et une petite lumière pour examiner sa gorge. Et aussi, ça me laisserait le temps de parler.
"Pourtant, c'est plus qu'improbable, impossible même, que tu n'aies pas suivi le programme." J'étais persuadé, à l'entendre parler, qu'elle venait de la BBC-001 ou de la BBC-003, à la rigueur. "Pourquoi t'ont-ils laissée ici dès le départ?"
Je lâchai prise sur la palette, la jetai, puis pris note de tout ce que j'avais diagnostiqué. *Tension artérielle: ok ; poumons: ok ; gorge: ok.*
Je partis chercher une seringue, la préparai pour une prise de sang, tandis que j'attendais sa réponse. Converser la distrairais peut-être de la piqûre. Je rencontrais souvent des problèmes de ce côté-là. Et puis, son histoire piquait ma curiosité. Je comptais bien lui soutirer autant d'informations que possible. *Ça m'aidera peut-être à mieux comprendre comment fonctionne cet endroit..*

Je grimace un sourire, bien sur qu'il s'en pose, des questions, apparemment on l'avait déjà mis au parfum du système...
Je ferme les yeux, tentant de rappeler ce qui s'était passé. J'étais petite alors, à peine 5 ou 6 ans à ce que l'on m'a dit, mais c'est l'un de ces moments qu'on était incapable d'oublier, même avec le temps.
"Il y avait eu un problème lors du transfert, un défaut dans l'isolation." je commence.
Je me souviens, moi toute seule dans ma petite navette, tandis que l'eau montait. Je crois que ça m'amusait au départ, jusqu'à ce que je sois presque entièrement immergée...
Si je n'avais pas appuyé sur le bouton d'urgence au dernier moment, je serais certainement morte...
"J'ai failli me noyer ce jour-là, et ensuite on a plus jamais été capable de m'y faire remonter... du coup je suis restée ici, la seule condition était que je donne un coup de main à la nurseries une fois de temps en temps."
Nous n'étions pas nombreux dans ce cas, la plupart des enfants capricieux souffrant de claustrophobies ou autres crises empêchant tout transport.
Elle sentit à peine la piqûre, tant elle était prise dans ses pensées.

Ah, elle était donc claustrophobe. *Pas pratique dans un endroit pareil...*
Elle n'avait pas eu l'air de sentir quoi que ce soit lorsque j'insérai l'aiguille dans sa veine. Pas habitude ou distraction, je n'en savais rien, mais je supposais que c'était par distraction, vu qu'elle prenait un air rêveur. Sans doute se remémorrait-elle l'accident qui avait failli la tuer. Comment s'en était-elle sortie, d'ailleurs?

"Je suis sûr que si on te proposait de t'en aller, t'hésiterais pas une seconde à remonter dans une de ces navettes" *Voyons voir si ici, tout le monde est aussi heureux qu'on ne le pense.* "T'en aller à la Surface, bien sûr"

Je me rendis compte que j'avais oublié de demander comment elle s'était échappée de la noyade. Simultanément, je me demandais si on les avait informé de la présence de leur jumeau sur terre, puisque dans ce cas, ils devraient tous développer un complexe bizarre. Je le saurai peut-être dans un instant. Je pensais aussi aux jumeaux sur terre, eux, qui n'étaient au courant de rien. Sans doute vivaient-ils, à leur manière, le syndrôme des jumeaux transfuseur-transfusé.
Je retirai la seringue de son bras, le désinfectai, puis parti ranger l'échantillon de son sang, que j'étiquetai. J'allais pouvoir déterminer, grâce à cela, quelles étaient ses carences à combler, de quelles allergies elle souffrait, et quels aliments elle devrait manger.
Je me mis à préparer le projecteur de lettres, et l'invitai à venir s'installer dans le fauteuil. Je crois que me curiosité l'énervait. À vrai dire, ça m'était égal. Je supposais qu'elle me répondrait d'office.

[Rahhh, j'avais oublié de répondreuh!]

J'ouvris de grand yeux: C'est quoi cette question? Un piège? La manifestation de son plaisir sadique de petit médecin?
Je ne savais que répondre, oui je mourrais d'envie de monter à la surface, voir ce qu'il y a en haut, mais ici on n’avait même pas le droit d'en parler, c'est un sujet tabou, point final!
Et puis, il y a aussi cette peur, ce traumatisme... Quand bien même j'en trouverais une qui puisse l'y emmener, réussirais-je à monter dedans?
Oui, ai-je envie de dire, rien qu'à l'idée de voir le soleil j'en oublierais tout! Mais... une petite voix me rappelle comment je tremble en croisant le regard d'un poisson, et puis aussi la manière dont je n'ose jamais fermer la porte des cabines de douche de crainte de ne plus savoir les rouvrir... C'est pour ça que je la prends la dernière: au moins il n'y a personne pour me voir!
"Toute façon, elles descendent, elle ne remonte pas..." dis-je pour échapper à cette question plutôt embarrassante.
Je me lève pour aller devant le projecteur. Ah, s'il y a une chose qu'on ne peut pas m'enlever, c'est bien ma bonne vue! Je n'ai peut-être pas un oeil de lynx, mais c'est bien mieux que mon poids, pour prendre un exemple!
9/10, je ne me suis trompée qu'une seule fois... C'aurait pu être bien pire!

[Mdr, j'avais vu, j'allais te le rappeler :p ]

Mon petit interrogatoire avait eu l'air de la déstabiliser. Il y avait de quoi. Qui s'attendrait à une question pareille de la part d'un fonctionnaire(si je travaillais bien pour l'Etat...) ?
Je pouvais lire dans ses yeux qu'elle se demandait pour qui je me prenais. Bah quoi? Oui, ça m'amuse, oui je m'ennuie, oui, ça m'est égal que ça soit totalement irrespectueux des conventions. Comme si cet endroit en lui-même ne brisait pas toutes les lois naturelles et humaines imaginables.
Elle eut l'air d'hésiter. Pendant quelques instants, elle garda le silence, puis me répondit enfin "Toute façon, elles descendent, elles ne remontent pas..." Joli, bien contourné.
Elle prit place devant le projecteur, et me fit un 9/10 pour les deux yeux. Une petite erreur sans conséquences ; généralement, tout ce qui se trouvait sous la ligne rouge ne comptait pas réellement à l'examen... Ça donnait juste une bonne idée de l'acuité visuelle de chacun.
Avant de procéder à l'examen de l'ouïe, je décidai de pousser l'interrogatoire plus loin.
*Elle est bidon, ton excuse* "Mon contrat n'est pas éternel, je devrai bien remonter un jour, et je le ferai, même s'il faut y aller à la nage." *Mais bon, je préfère pas*
"Je ne comprends pas ce qui vous garde tous ici..."
Je ne crois pas que ce soit bien difficile de remonter à la surface. Hop, on s'infiltre clandestinement dans une des capsules destinée à remonter, et on en sort avant que quiconque ne le remarque. Le descente (ou plutôt la remontée, dans le cas présent) ne fut pas longue à mes yeux, lorsque j'étais en route vers cet endroit. "Les bébés doivent bien arriver, et ça m'étonnerais qu'on fabrique un nouveau vaisseau pour chaque dizaine d'arrivants, et qu'on le coule ensuite. L'Etat préfère garder son argent pour le pétrole, tout le monde le sait" *Bon, ce coup-ci, si ça ne lui donne pas d'inspiration... C'est un cas désespéré.*
Je me rendais compte qu'une censure généralisée avait été établie autour de tout ce qui concernait, de près ou de loin, leur bien-aimée "Surface". J'espérais sincèrement que j'obtiendrais une réponse plus complète. *Je déteste travailler en aveugle*

Qu'est-ce qu'il m'énerve, ce type!
Que croit-il donc? Qu'il suffirait de s'infiltrer incognito dans l'une de ces minuscules capsules et HOP j'arrive à la Surface, ni vu ni connu?
L'imbécile!
Avec leur système de surveillance à la noix, on ne pourrait même pas faire deux mètres avant d'être intercepté, et sévèrement puni!
Pourtant... oh non, je n'ai pas envie de lui donner cette raison, j'ai envie de lui faire peur, moi, de lui montrer de quel bois je me chauffe...
J'affiche donc un petit sourire malicieux, du type "ah vraiment? Vous croyez?"
"Je vois qu'ils ont oublié de vous parler du problème de la décompression en haut, n'est-ce pas? Oh bien sur ça ne m'étonne pas, il faudrait pas faire fuir le nouveau médecin..."
Je m'amuse, je m'amuse! Je rassemble en vitesse mes vagues connaissances en physique, histoire de faire une petite théorie plus ou moins crédible.
"En effet, l'Etat n'aime pas dépenser son argent pour rien, aussi comme personne n'est censé remonté, ils n'ont prévu de système de décompression qu'uniquement pour la descente... Et si quelqu'un est à l'intérieur pendant que la capsule fait son petit chemin vers la surface... Oh je vous laisse imaginer ce qu'il en reste à la sortie..."
Je n'ose pas regarder son visage de peur d'éclater de rire, mais je suppose qu'il doit être plutôt blême... Enfin j'espère, du moins, que ça l'apprendra à poser trop de questions!
Je prends le casque pour commencer le test d'audition.
"D'ailleurs, si vous voulez mon avis, l'ancienne équipe médicale est rentrée les pieds devant, parce qu'au moins ça les empêchera de parler de nous..." Lançai-je en dernière pique avant de commencer.

Elle sourit à ma suggestion. Apparemment, elle avait déjà retourné le problème maintes fois dans sa tête... Apparemment.
Oh, je me doute bien que ça ne serait pas facile d'accéder à une capsule libre, qui de plus est une qui soit prête au démarrage. Certainement, mais ça doit être faisable, non? Je ne vois pas où ça bloque. Elle ne tarda pas à me l'expliquer.

"Je vois qu'ils ont oublié de vous parler du problème de la décompression en haut, n'est-ce pas? Oh bien sur ça ne m'étonne pas, il faudrait pas faire fuir le nouveau médecin..."

Toute sa réplique avait été accompagnée du même sourire ironique de tout à l'heure. Comment ça, un problème de décompression? Si on sait descendre, on doit bien pouvoir remonter.

"En effet, l'Etat n'aime pas dépenser son argent pour rien, aussi comme personne n'est censé remonté, ils n'ont prévu de système de décompression qu'uniquement pour la descente... Et si quelqu'un est à l'intérieur pendant que la capsule fait son petit chemin vers la surface... Oh je vous laisse imaginer ce qu'il en reste à la sortie..."

Ha, ha. Bon d'accord, je veux bien que leurs ressources soient limitées... *Mais de là à faire du bénef' sur une simple affaire de minutes... Ils auraient pu équiper les cabines d'un système plus perfectionné* Tout ça ne tenait décidément pas debout, mais je n'avais pas suffisamment de connaissances en physique marine pour la contredire. Il devait bien il y avoir une bibliothèque par ici, je comptais y faire un tour. *Je peux rajouter ça à ma liste...*
Elle ajusta le casque sur ses oreilles. Elle était dos à moi, je ne pouvais pas deviner son expression. Elle me lança par-dessus son épaule, avant que je ne démarre la machine:

"D'ailleurs, si vous voulez mon avis, l'ancienne équipe médicale est rentrée les pieds devant, parce qu'au moins ça les empêchera de parler de nous..."

Je n'étais pas dupe au point d'avaler cette fable saugrenue. Quand on entre, on sort, point. Aucune situation n'avait jamais failli à la règle, et je ne comptais pas passer le restant de mes jours ici. Tout au plus, cinq ans. Passé ce cap, adieu, je remonte. *Je ne changerai mes plans sous aucun prétexte*
Seulement, il est vrai que, à toutes les occasions où j'avais pu aborder la directrice de l'établissement, toute conversation concernant ses prédecesseurs avait été soigneusement esquivée. *Ce serait ridicule d'assassiner un médecin qui aurait passé l'âge ou l'envie... Trop de risques* Mais l'Etat semblait être de leur côté. *Une pareille attitude ne serait pas cautionnée par l'Etat. Les disparitions sont suspectes et se remarquent, même à la surface* Et si j'étais condamné à rester ici jusqu'à ma mort? *Balancer un vieux au fond de l'Atlantique... Personne ne remarquera rien*
J'étais impressionné. Personne n'avait réussi à me faire douter à ce point jusqu'à présent. J'allais devoir faire un tour à la bibliothèque. *Et je crois que je vais envoyer deux trois e-mails dès que possible...*
J'enclenchai l'appareil.
*Autant qu'on se souvienne de moi*
Elle fit un 10/10 pour les deux oreilles. Lorsqu'elle déposa le casque (j'étais persuadé qu'elle avait l'air satisfait, j'avais heureusement depuis longtemps ravalé mon expression inquiète), je lui dis:

"Je remonterai si je le veux. Mort s'il le faut, mais alors pas seul."

Comme si j'allais laisser passer ça aussi facilement. *Quitte à mourir, ça ne sera pas ici... De toute façon, c'est n'importe quoi*
Il n'empêche que ça m'avait secoué, je n'avais pas envisagé cette perspective en acceptant ce boulot. Et pourtant, Dieu sait que je ne prend rien à la légère.
*Je l'avais sous-estimée*
Je pris note des résultats du test d'audition, et souris avec ironie.

Je soupire en enlevant le casque, c'était enfin fini!
A moins sur qu'ils aient changé les programmes, chose qui m'étonnerait fortement, les testes étaient terminés, et je vais enfin pouvoir sortir de cette sale qui pue le désinfectant!
J'en profite pour jeter un oeil au médecin, qui semble en intense réflexion... Je l'ai donc tant touché que ça?
Oh bien fait tiens! Ca lui apprendra à poser des questions!
"Je remonterai si je le veux. Mort s'il le faut, mais alors pas seul." dit-il.
Mais de quoi parle-t-il? Et pourquoi "pas seul"?
Je meure d'envie de l'interroger mais... Oh non, ce serait se rabaisser à son niveau, et ça je me le refuse!
Bon, sortir de cette salle, c'est ma priorité du moment... Après je verrai bien!
"Eh bien, si vous n'avez plus besoin de moi, Dr Kingsley, je vais m'éclipser..."
Sait-on jamais que sa fièvre questionneuse reprenne de plus belle...

Elle se leva de sa chaise déposa le casque, et l'air soulagé, se dirigea vers la porte. J'avais oublié qu'après l'audition, ce serait terminé.
Pendant un instant, je crus déceler de la curiosité sur son visage ; sans doute ma réponse avait-elle été plus efficace que je ne l'aurais pensé. Mon but premier avait été d'avoir le dernier mot, mon but second de mettre fin à mes pensées. Je n'avais pas cherché à la déstabiliser.

"Eh bien, si vous n'avez plus besoin de moi, Dr Kingsley, je vais m'éclipser..."

Me dit-elle en s'apprêtant à ouvrir la porte.

"Moui, la visite est terminée" Pourquoi ai-je dis ça? Elle devait le savoir. Je m'avance vers la porte également pour la lui ouvrir ; les habitudes me rattrappent. "Je vous convoquerai dans mon bureau pour vous communiquer les résultats des analyses. Ce sera dans peu de temps."

J'en avais déjà assez rien qu'à l'idée de m'amuser à confectionner un régime pour cette fille qui ne voudrait rien entendre.

"Si vous avez des aversions, ou des allergies, autant me le signaler tout de suite." Je n'avais pas envie d'avoir à recommencer l'opération pour des caprices. Je pris mon carnet de notes sur la table et déposai ma blouse sur le dossier d'une chaise.
Si elle ne répondait pas, je n'aurais qu'à lui serrer la main, puis lui dire aurevoir. De toute façon, je ferai en sorte qu'elle soit bien surveillée. Elle a vingt ans, mais n'en fait que seize en apparence, et pareil en caractère (*Bien que là, elle n'y est pour rien*). Il fallait être sûr qu'elle mange normalement.

Je secoue la tête, prête à partir, quand je me rappelle qu'en effet j'ai une aversion bien spécifique, à la limite de l'allergie d'origine mentale.
Encore et toujours cet accident quand j'étais petite... la capsule était entièrement submergée, et je me retrouvais à me cogner contre le plafond, à la recherche désespérée d'un peu d'air... Et puis alors, il semblait que la faille avait été assez grande pour laisser passer un poisson, avec ses grands yeux globuleux... Ce jour-là, j'avais cru mourir avec cette image, et depuis je n'ai jamais pu toucher à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à ce poisson!
"Pas vraiment une allergie, mais si vous pouviez éviter le poisson: rien que l'odeur me rend malade."
Voilà, maintenant je peux enfin partir, je me dirige vers la porte...

"Pas vraiment une allergie, mais si vous pouviez éviter le poisson: rien que l'odeur me rend malade."

A, bon ok. Si ç'avaient été les pommes de terre, ou quelque chose dans ce goût-là ; ç'aurait été plus facile... Evidemment, fallait que ce soit le poisson, l'un des aliments les plus facilement accessibles depuis cet endroit, et aussi, un des aliments les plus nourrissants de la planète.

"Bon, très bien, alors je te donnerai des suppléments en pilules"

Bizarre, comment je passais de la seconde personne du pluriel, à la seconde personne du singulier, puis à la seconde personne du pluriel pour... revenir à la deuxième personne du singulier!
Je ne savais plus très bien où m'en tenir, ma langue n'arrêtait pas de fourcher.
Je lui tendis la main et souris malgré moi. J'étais d'humeur ironique.

"Aurevoir, à dans quelques jours"

Une deuxième de passée... Je me demande qui sera la (le?) suivante. Ce coup-ci, ça s'était plutôt bien déroulé, j'espérais que ça serait pareil pour les autres. Il n'en restait plus que trois, à ce que j'avais entendu dire. Je pensais à ma chambre, mon lit, ma télévision. Je marmonnai entre mes dents "Y'avait un bon film ce soir..." J'espérais ne pas le rater.

Je regarde un moment la main de cet homme, avant de la serrer tout de même par politesse. Je frissonne un peu, sa main est glaciale, aussi froide que la paroi de verre, dans la salle vide.
Je ne savais pas que des humains pouvaient être aussi froids, dans tous les sens du terme...

"Au revoir, Docteur" dis-je en retirant ma main.

Je me dirige à nouveau vers la porte, je suis vraiment soulagée de pouvoir enfin sortir.
Mais en la passant, j'ai tout de même des remords... Je me suis tout de même moquée d'un membre du personnel, et ça, ça coûte cher quand c'est découvert!
Vaut mieux réparer les pots cassés...

"Dites au fait" dis-je avant de refermer la porte. "Pour l'ancien personnel je ne suis sûre de rien, mais il y a pas mal de bruits de couloir"

Salle centrale

Elle semble réfléchir avant de me serrer la main. J'ai l'impression qu'elle a réprimé un frisson ; ma main était fraîche, mais la sienne était moite. *Pas très douée pour dissimuler ses émotions... Entre nous, je n'ai pas fait tellement mieux* Je devais réellement afficher une drôle de mine tout à l'heure, lorsqu'elle me parlait de cette fameuse "décompression défaillante"

"Au revoir, Docteur" dit-elle en passant la porte. Elle allait la refermer, et je comptais remplir en vitesse une fiche vierge que j'avais gardée dans ma poche, lorsqu'elle m'interpela:

"Dites, au fait..."

Je me retournai et la regardais sans émotion.

"Pour l'ancien personnel, je ne suis sûre de rien, mais il y a pas mal de bruits de couloir"

Puis, elle ferma la porte. Je ne pus m'empêcher de sourire. Alors, comme ça, elle avait tenté de m'impressionner? *Pas mal...*
Quoique, je m'en doutais un peu, au fond. J'avais juste hésité suffisamment longtemps pour permettre à mon cerveau de partir dans de dangereuses élucubrations.

Une fois qu'elle fut partie, je m'assis, et remplis en vitesse un formulaire chiffonné que j'avais imprimé en trop par inadvertance, et qui traînait dans ma poche. Je le pliai soigneusement (autant que possible, du moins) une fois dûment (*Mouais*) complété, puis ramassai mes affaires, et éteignis la lumière de la salle.
Je ne verrouillai pas la porte, sachant pertinemment que j'allais revenir ici dans peu de temps avec un nouveau patient, et partis classer cette fiche dans les archives prévues à cet effet.
*Et puis, au suivant...*


Archives médicales